lundi 18 mai 2009

Cauchemar

Sur United Red Army, de Koji Wakamatsu (Japon, 2008)

Quand aurons-nous enfin en France des films sur mai 68, la guerre d’Algérie, Vichy, à la hauteur du dernier film de Wakamatsu ? Non subventionné, le cinéaste a dû hypothéquer sa propre maison parce qu’il voulait absolument transmettre aux jeunes générations cet épisode de leur histoire, si déformé par la police et les media japonais. Le film se présente comme un docu-fiction de trois heures. J’avais failli partir au milieu, et la nuit d’après j’ai fait un cauchemar. Je suis pourtant contente de n’avoir pas suivi mon impulsion. Je ne raconterai pas le film parce qu’il est détaillé et fort pédagogique (donc il faut absolument y aller et vite parce que je crains qu’il ne reste pas longtemps sur nos écrans) mais d’une façon qui n’est jamais lourde ni ennuyeuse et qui garde le souci d’une image impeccable. En bref, il y a une partie archives qui montre la répression policière des manifestations étudiantes dans les années 60, hyperviolente, et le contexte politique (renouvellement du traité de sécurité nippo-américain et protestations contre l’occupation d’Okinawa) ; une partie « purge » entre les militants (c’et là que j’ai failli partir tellement c’était violent et atroce) ; la dernière partie porte sur la fameuse prise d’otages d’Asama en 1972 qui s’est terminée par l’arrestation des terroristes. Mais dès le début, archives et fiction sont savamment mêlés, les étudiants étant joués par des acteurs qui ressemblent étonnamment à leurs photos réelles, et le scénario étant construit à partir des témoignages de ceux qui sont toujours vivants et qu’a rencontrés Wakamatsu, si bien qu’on ne sent pas le passage des archives au jeu des acteurs.
Le film montre l’enchaînement assez continu entre la lutte étudiante et le passage à la lutte armée après séparation des partis traditionnels de la gauche, incapables de représenter la révolte étudiante, puis les clivages et règlements de compte entre factions rivales. Le passage à la clandestinité semble lié à la décision de posséder des armes. Il va rester deux groupuscules FAR (fraction armée rouge) et FRG (fraction révolutionnaire de gauche) qui se réuniront dans l’URA.
Le film n’est pas du style psychologique mais on suit quand même un certain nombre d’acteurs, comme Nagata, cheffe de la FAR, et Mori, chef du FRG, qui sont les meneurs des exécutions internes auxquelles on assiste d’une façon répétitive et insupportable pendant le second tiers du film. Enfermés pour devenir révolutionnaires dans la montagne, les militants, outre l’exercice physique, passent leur temps, non à étudier Marx, Lénine ou Mao et à débattre dialectiquement, mais à se torturer, mentalement puis physiquement, en oubliant tout savoir, toute discussion sérieuse pour des slogans effrayants de sottise. Ces auto-exécutions sans enjeu réel, qui les déciment avant toute lutte véritable, sont l’une des originalités tragiques de ce mouvement par rapport à d’autres mouvements terroristes. La bêtise de leurs dialogues, réduits à des trognons de slogans débiles, est sidérante et la cruauté de Nagata, surtout vis-à-vis des filles qui souillent le « saint lieu du parti » est notable : l’une d’elles, enceinte, n’a-t-elle pas prétendu que son bébé lui appartenait et pas au parti ? Tuée à coups de poings dans le ventre. Une autre séduisait les garçons, elle lui présente un miroir pour qu’elle voie son visage horriblement tuméfié par les coups collectifs avant de mourir ; une autre trouve jolis les yeux de Mori que Nagata va suivre en quittant son compagnon, un autre leader : elle sera exécutée pour irrespect, etc. Quant à Mori, il passe son temps à exiger l’autocritique de ses camarades, toujours défaillante par rapport à la pureté de l’idéal, alors que lui-même s’était enfui et a été « récupéré » sans « procès » par le chef du FRG dont il prendra la place. Pour un tel délit de fuite, ses camarades sont exécutés sans pitié.
L’amitié entre la belle Shigenoku qui partira au Liban faire de sanglants détournements d’avion et la pauvre Mieko qui pensait renaître en vraie révolutionnaire, par son autocritique, et se fera massacrer par la féroce Nagata est touchante. Leurs rendez-vous dans un bar branché pour discuter au son du « Temps des cerises » chanté avec l’accent japonais fait partie des scènes inoubliables du film et leur amitié, qui est douce, contraste avec ce qu’elles acceptent, oubliant tout sentiment humain pour un idéal que le film opacifie à souhait. Le siège d’Asama donne lieu à des répliques intéressantes : disputes mortelles à propos d’un biscuit alors que l’assaut final est imminent ; larme à l’œil quand la police fait parler les parents postés dehors, avec un micro, qui n’empêche pas les enfants de leur tirer dessus et de faire des réflexions sur le fait qu’au Japon, de toutes façons, leurs parents seront fichus socialement, d’avoir de tels enfants. Lors de ces scènes accompagnées par une bande son de musique rock, on mesure l’inanité de leur sacrifice qui apparaît couleur de vide. Wakamatsu porte sur ce mouvement un regard non complaisant tout en présentant les étudiants d’une façon distanciée et non caricaturale.
La question que tout le monde se pose est pourquoi tout cela a ainsi dégénéré. Wakamatsu note que les mouvements terroristes de ce style ont eu lieu dans trois pays fascistes : Allemagne, Italie, Japon. Et, effectivement, on peut se demander s’il ne s’agit pas là de ce que Lacan nommait « prolongement du symptôme ». En croyant lutter contre eux, ces étudiants ont répété et fait encore pire, s’il se peut, que leurs parents, élevés dans le fascisme et endoctrinés par le pouvoir. Au Japon, les étudiants étaient obligés d’être kamikazes à la fin de la seconde guerre mondiale : les étudiants terroristes de 1972, qui s’auto-exterminent, sont de la génération suivante.

Aglaé, 18 mai 2009

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