vendredi 16 janvier 2009

Two Lovers (2008) de James Gray

Au début du dernier film de James Gray, Two lovers (2008), le héros, Leonard, un jeune homme fragile, tente de se noyer à cause d'un amour impossible. Incarné par Joaquim Phénix, il est le fils unique d’une famille juive traditionnelle de New York. Son père, blanchisseur, organise, avec un collègue plus riche, un mariage arrangé entre leurs deux enfants, Leonard et Sandra, qui scellera en même temps une alliance commerciale qui le tirera d'affaire. Leonard rencontre ainsi Sandra, une belle brune qui tombe amoureuse de lui et viendra lui proposer de coucher avec elle pendant que ses parents attendent au salon. Elle plaît à Leonard qui couche avec elle. Mais dans l’escalier de son immeuble, Leonard rencontre Michelle, une jeune femme blonde paumée et droguée qui vit une histoire assez sinistre avec un avocat marié. Il tombe amoureux d’elle ; elle cherche un ami, un frère compatissant. Double malentendu, dans les deux couples ainsi formés par la volonté des parents d’une part, par le hasard d’autre part. Leonard court après Michelle, Sandra court après Leonard. Leonard projette de partir avec Michelle qui ne supporte plus d’attendre son amant marié, mais celui-ci, l'apprenant, change d’avis et décide de l’épouser : elle laisse tomber brutalement Leonard. Cet épisode a lieu durant la fête du Nouvel an, chez les parents de Leonard, où Sandra est présente. La mère de Leonard (sublime Isabella Rossellini) a surpris le départ en catimini de son fils et lui fait comprendre calmement qu’elle sait qu’il reviendra. Leonard va errer sur la grève et, à nouveau abandonné, pense peut-être encore au suicide. 
Le dénouement, aussi simple qu’inattendu, a déçu nombre de spectateurs et de critiques par son aspect trop conventionnel, et par là même, énigmatique. Il tourne autour de deux objets insignifiants : un gant et une bague. Les gants ont été offerts à Leonard par Sandra, des gants fourrés cossus, symbolisant un idéal familial paisible et chaleureux. Leonard a acheté la bague, au-dessus de ses moyens, avec ses économies, pour l’offrir à Michelle. Lorsqu’elle le laisse tomber, il l’enterre rageusement dans le sable. Lorsque, triste, il se promène sur la plage, il revoit les gants, puis court impulsivement déterrer la bague et revient en courant chez ses parents pour l’offrir à Sandra, toujours à la fête du Nouvel an. La mère sourit, sans doute, elle savait.
Le dénouement pourrait donc paraître banal : le renoncement forcé d’un fils qui se range aux idéaux familiaux auxquels il avait vainement cherché à échapper, thème qui hante les quatre films de James Gray. Et pourtant, on sent qu’il s’agit d’une mutation subjective chez Leonard qui n’est en effet ni cynique ni obéissant. Quelque chose a profondément changé toute la réalité pour lui : il ne se résigne pas à Sandra mais la veut réellement.
Ces deux objets, le gant et la bague, trouent l’écran, comme on le dit d’habitude d’un visage ou d’un personnage de film. En fait, ils trouent l’écran du fantasme et incarnent une rencontre avec le réel pour Leonard. Le gant, c’est la prise en main par une femme « à poigne » mais enveloppante et chaleureuse comme sa mère ; la bague, c’est l’objet de luxe passé au doigt d’une femme à qui on « demande sa main », elle symbolise donc le choix d’une femme. Dans le film, la mutation du sujet repose sur la réunion, le recouvrement de ces deux objets (des objets a selon Lacan) alors qu’ils se présentaient jusque-là, disjoints, comme les pôles d’une opposition radicale qui divisait cruellement Leonard. C'est un artifice filmique qui déconcerte par sa simplicité, et pourtant de telles mutations subjectives arrivent réellement dans la vie (et pas seulement pour un mariage!). 
Aglaé, le 16 janvier 2008.

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